La filière lait et les produits laitiers au Maroc
La filière lait et les produits laitiers au Maroc
Au Maroc, le secteur
de l’élevage joue un rôle important dans l’économie du pays par sa
contribution au PIB agricole (30 %), l’emploi qu’il assure dans le
milieu rural et la satisfaction des besoins de consommation en produits
animaux. L’élevage laitier constitue une des principales composantes de
ce secteur représenté par deux systèmes de production. Le premier dit
intensif est pratiqué essentiellement dans les périmètres d’aménagement
hydroagricoles encadrés par les offices de mise en valeur agricole
(ORMVA). Il se caractérise par un niveau élevé des disponibilités
fourragères, la prédominance de races bovines améliorées dans la
structure des troupeaux (70 %) et l’importance du taux de
commercialisation du lait (60 % à 70 % de la production totale). Le
deuxième système, plutôt mixte (lait et viande), est basé sur
l’alimentation concentrée et l’utilisation des sous-produits céréaliers
(paille, chaumes, etc.). Il prédomine dans les zones à pluviométrie
favorable et autour des grandes agglomérations urbaines.
Aperçu sur la politique de production laitière au Maroc
Les orientations stratégiques de l’État en matière d’élevage visent la consolidation de la sécurité alimentaire pour les viandes et les produits laitiers. En ce qui concerne la production laitière, l’intervention des autorités publiques a débuté au milieu des années 1970 avec des programmes visant l’amélioration des performances de production et de consommation des produits laitiers. Dans le cadre de cette politique, un premier programme laitier a été mis en place à cette époque. Son objectif majeur était l’amélioration de l’autosuffisance et l’augmentation du niveau de consommation des produits laitiers de 0,1 à 0,33 litre de lait par personne et par jour entre 1975 et 2000 (Srairi, 2004). Pour atteindre cet objectif, l’État a dû intervenir à travers plusieurs axes (ministère de l’Agriculture, 2000) :- l’amélioration génétique du cheptel bovin par l’insémination
artificielle et le croisement avec des animaux de races améliorées ;
- l’intensification des mesures destinées à améliorer la santé animale et le contrôle sanitaire des produits laitiers ;
- l’amélioration des ressources fourragères et la constitution de stocks d’urgence pour l’alimentation animale ;
- l’implantation de centres de collecte de lait à proximité des zones de production ;
- l’incitation à l’investissement pour la mise en place et le développement d’unités de transformation du lait.
Les résultats de ces interventions ont permis l’amélioration de la production laitière qui est passée de 580 millions de litres en 1975 à 1,1 milliard de litres en 1999. Cependant, le déficit persistant de consommation des produits laitiers a amené les autorités publiques à adopter un second plan laitier pour la période 2000-2020. Contrairement à celui de 1975, ce plan met l’accent sur la spécialisation régionale nécessaire à la rationalisation de l’utilisation des ressources et l’accroissement de la productivité. Ses orientations s’agencent autour de l’amélioration de l’environnement sanitaire du cheptel laitier, l’amélioration de la qualité du lait à chaque étape de la filière, l’appui aux organisations professionnelles et le renforcement de la politique de partenariat interprofessionnel (Araba et al., 2001). La plupart des mesures incitatives relatives aux interventions du ministère de l’Agriculture à ce sujet (construction et équipement des étables et des centres de collecte) sont supportées par le Fonds de développement agricole.
Actuellement, la production laitière atteint près de 1,37 milliard de litres (ministère de l’Agriculture, 2005). Ce niveau de production reste en deçà des projections formulées notamment par le plan laitier de 1975 (2 milliards de litres en 2000). Les performances du cheptel, les conditions climatiques (surtout la pluviométrie) et les contraintes liées à l’organisation professionnelle sont souvent considérées comme des facteurs déterminants pour les performances enregistrées. D’autres contraintes liées à la collecte, à la transformation et à la distribution du lait et des produits laitiers interviennent également sur les niveaux de disponibilité qualitative de ces produits à la consommation. La stratégie de développement de la filière laitière tient compte de l’ensemble de ces contraintes dans le cadre du plan 2000-2020. L’objectif principal est d’accroître la production à un taux de 5,8 % chaque année pour couvrir les besoins nutritionnels de consommation en produits laitiers (ministère de l’Agriculture, 2000).
En outre, les importations annuelles moyennes du lait au Maroc tournent autour de 15 000 tonnes sous forme de poudre, soit l’équivalent de 151 millions de litres de lait reconstitué. La majeure partie des importations provient de l’Union européenne avec près de 85 % des quantités importées. Durant la période 2000-2004, la France est considérée comme le principal fournisseur avec près de 30 % des importations. Elle est suivie par les Pays-Bas (12 %), l’Allemagne (11 %), l’Espagne (7 %) et l’Union économique belgo-luxembourgeoise (7 %).
Le lait et les produits laitiers sont soumis à des tarifs douaniers variant de 17,5 % (fromages à utilisation industrielle) à 112 % (lait frais et crème de lait). Le droit de douane appliqué au lait écrémé en poudre s’élève à 60 % alors que celui du lait entier en poudre atteint 112 %. Ces tarifs peuvent parfois être réduits pour encourager les importations au moment de certaines périodes de grande consommation, par exemple pendant le mois de ramadan. Toutefois, les politiques de démantèlement tarifaire soulèvent l’inquiétude des éleveurs et même des transformateurs notamment dans le cadre des engagements envers l’Accord d’association avec l’Union européenne et l’Accord de libre-échange avec les États-Unis d’Amérique.
Évolution des consommations
La consommation actuelle en produits laitiers reste relativement faible avec près de 45 équivalents litres de lait par personne et par an contre 90 litres recommandés pour la ration nutritionnelle (ministère de l’Agriculture, 2005) [1][1] - Selon la classification adoptée par la Direction de...suite. Cette consommation individuelle a augmenté de près de 10 litres entre 1975 et 2004, soit un taux d’accroissement annuel moyen de 0,8 % (cf. graphique 1).
L’évolution de la consommation montre une chute remarquable au début des années 1980 en raison notamment des graves problèmes de sécheresse qu’a connus le pays durant cette période et qui ont eu des répercutions sur les niveaux de production. En 1983, la consommation individuelle était même inférieure à celle enregistrée au début des années 1970 avec seulement 25 litres par personne et par an. Depuis lors, la reprise a gardé un rythme ascendant qui a permis d’atteindre les niveaux enregistrés actuellement.
Graphique 11.1 - Évolution des quantités et des prix de consommation des produits laitiers, 1975-2004
En termes de dépense budgétaire, les résultats de l’enquête de consommation et des dépenses des ménages entreprise par la Direction de la statistique en 2000-2001 montrent que la dépense annuelle moyenne en produits laitiers s’élève à près de 210 dirhams par personne et par an au niveau national[2] . Le coût d’acquisition du lait pasteurisé et du lait stérilisé constitue près de 50 % de cette dépense suivi par celui du lait frais non traité avec près de 34 dirhams par personne et par an, soit 16 % de la dépense laitière totale. La part des autres produits varie entre 10 % pour le groupe dit « Autres produits à base du lait » et 0,3 % pour le lait concentré (cf. tableau 1). Toutefois, l’analyse de la demande montre que le lait frais contribue pour 65,3 % de la dépense moyenne des produits laitiers.
Si l’on compare avec l’enquête de consommation des ménages entreprise en 1985, il y a lieu de noter une évolution progressive de la dépense en produits laitiers, qui a été multipliée par un facteur de 2,3 entre 1985 et 2001, passant respectivement de près de 92 à 210 dirhams par personne et par an. La part budgétaire des produits laitiers par rapport à la dépense alimentaire est ainsi passée de 5,2 % à 6,1 % au niveau national. Parmi les produits de base, la part budgétaire laitière estimée en 2001 se situe derrière celle des céréales (20,4 %), des viandes (22,7 %) et des produits gras (8,6 %). Nous verrons ci-dessous les principaux déterminants de la demande en produits laitiers en se basant sur les résultats de l’enquête menée par la Direction de la statistique sur la consommation et les dépenses des ménages.
Tableau 1 - Dépenses annuelles moyennes en produits laitiers au Maroc (dirhams courants)*
Facteurs influençant la consommation des produits laitiers
En plus des prix qui constituent une des variables les plus déterminantes de la demande, d’autres facteurs influencent la consommation des produits laitiers au Maroc. Il s’agit essentiellement de l’importance des revenus des ménages et du milieu de résidence.Évolution des prix
[2] - 1 dirham marocain équivaut à près de 0,09 euros. ...suite
Le prix du litre du lait à la consommation dépend des saisons de haute et de basse lactation mais aussi des circuits de commercialisation. En 2004, il atteint 5,80 dirhams en moyenne contre un prix au producteur de 3,2 dirhams. La différence entre les deux met en évidence une marge moyenne de mise en marché estimée à 82 %, ce qui montre l’importance des autres étapes de la filière laitière en aval de la production agricole.
Exprimé en termes courants, le prix à la consommation enregistre une tendance à la hausse depuis 1975, l’année où son niveau était de 1,2 dirham le litre (cf. graphique 1). Par conséquent, le taux d’augmentation annuelle moyenne des prix entre l’année en question et 2004 atteint près de 5,6 %. Il est toutefois important de noter qu’en termes réels exprimés selon l’indice des prix à la consommation (base 1989), le prix du lait est resté relativement constant, autour de 3,5 dirhams le litre.
Effets du revenu et du milieu de résidence
Dans son étude sur la consommation et sur les dépenses des ménages entreprise en 2001, la Direction de la statistique (2005) montre que la quantité consommée de produits laitiers s’élève à un peu plus de 53 équivalents litres de lait frais (ELF) (cf. tableau 2). Cette quantité se limite à près de 18,4 ELF en milieu rural, ce qui se traduit par une différence significative du coefficient budgétaire alloué à ces produits par les consommateurs. En effet, la dépense de consommation des produits laitiers du milieu urbain dépasse celle du milieu rural de 3,3 fois avec respectivement près de 303 et de 91 dirhams par personne par an.
Tableau 2 - Quantité consommée
(ELF)*, dépense (DH) et part budgé taire alimentaire selon les classes
de revenu et milieu de résidence
Par ailleurs, la même étude distingue
cinq classes de dépenses de consommation aussi bien en milieu rural
qu’en milieu urbain. Ces classes correspondent aux quintiles de revenus
des ménages des plus pauvres (quintile 1) aux plus riches (quintile 5),
ce qui permet d’obtenir des informations pertinentes sur l’effet du
revenu sur la consommation des produits laitiers. À l’échelle nationale,
les membres des ménages les plus riches consomment une quantité de
produits laitiers 10 fois plus élevée que celle des ménages les plus
pauvres. Cette différence se retrouve pratiquement dans le milieu urbain
avec des quantités respectives de près de 100 ELF et 10 ELF par
personne et par an. Elle est relativement moins prononcée au sein de la
population rurale avec une consommation individuelle de 54 ELF pour les
ménages les plus riches et 9 ELF pour les ménages les plus pauvres.La sensibilité de la demande en produits laitiers par rapport au revenu se confirme à travers les estimations économétriques menées par diverses études sur la consommation des produits alimentaires. L’enquête nationale sur les niveaux de vie des ménages entreprise en 1998-1999 (Direction de la statistique, 2001) est l’une des études les mieux référencées car basée sur un échantillon représentatif du profil de consommation de la population marocaine. Ses résultats montrent que le lait et les produits laitiers présentent une élasticité-revenu de 1,11 au niveau national. Cette élasticité est beaucoup plus élevée en milieu rural (1,19) qu’en milieu urbain (1,02).
Les produits laitiers présentent donc la caractéristique économique de biens de luxe avec une affirmation moins discutable dans le milieu rural. En dépit de leur rôle dans la production laitière, les ménages ruraux auraient tendance à préférer la vente du lait dans les différents circuits de commercialisation et de substituer sa consommation par celle du thé notamment. Il s’agit d’un moyen utilisé pour contribuer à la résolution des problèmes de trésorerie d’une manière efficace. Les revenus des ventes sont utilisés pour acquérir des aliments de bétail (son de céréales, pulpe sèche de betterave, etc.) et des biens alimentaires pour le groupe familial (thé, sucre, huile, etc.). L’insuffisance des équipements ménagers nécessaires à la conservation efficace des produits laitiers permet également d’expliquer cette tendance à la vente des ménages ruraux.
Évolution de la consommation des produits dérivés
Outre les formes de présentation du lait consommé (lait cru, lait pasteurisé, lait UHT, lait concentré et lait en poudre notamment), les principaux dérivés laitiers comprennent les yaourts, les laits fermentés et le fromage[3][3] - Bien que dérivé du lait, le beurre est toujours considéré...suite. L’évolution de la consommation des divers produits peut être saisie de nouveau à travers les résultats des enquêtes menées auprès des ménages par la Direction de la statistique. Les deux enquêtes les plus récentes et les plus représentatives sont celles entreprises en 1985 et en 2001. La période suffisamment longue qui les sépare permet de rendre compte de l’évolution du panier laitier aussi bien dans le milieu urbain que rural.
Le tableau 3 montre que la demande en lait frais a augmenté au niveau national de près 17,6 à un peu plus de 26,6 ELF par personne et par an, soit un taux d’accroissement annuel moyen de 2,63 %. Cet accroissement est surtout consécutif à celui de la consommation du lait pasteurisé qui enregistre un taux annuel de 3,24 %. La consommation de ce type de lait devient de plus en plus importante en milieu rural avec une évolution passant de 0,88 à 2,47 ELF par personne et par an entre 1985 et 2001. L’augmentation de la demande en lait non traité vendu essentiellement par les colporteurs se maintient à un taux annuel moyen de près de 1 %. D’une manière surprenante, c’est la demande urbaine qui en est la principale cause puisqu’elle est passée respectivement de près de 3 à 5,35 ELF par personne et par an, soit à un taux estimé à 3,7 % par an. Ce résultat est sans doute dû au rôle de l’approvisionnement des villes par les circuits informels de commercialisation du lait (Ait El Mekki et al., 2002).
Tableau 3 - Évolution de la consommation de produits dérivés du lait (en équivalent litre de lait frais)
En ce qui concerne les produits dérivés
autres que le fromage, on constate une légère baisse de la
consommation entre 1985 et 2001. En effet, la demande individuelle est
passée respectivement de près de 10,8 à 8,33 ELF par an. La baisse est
surtout due à celle de la consommation du lait concentré à l’échelle
nationale et du petit-lait (leben) en milieu rural (Direction
de la statistique, 2005). En effet, le lait concentré tend à disparaître
des habitudes alimentaires du consommateur marocain alors que le
petit-lait est de plus en plus vendu aux colporteurs qui
approvisionnent les laiteries traditionnelles (mahlabates) dans les villes.Par ailleurs, il est intéressant de noter l’augmentation de la consommation des yaourts et des raibis au niveau national[4][4] - Selon El Fellah (2005), « le raibi est un lait...
suite. La demande de cette catégorie de produits laitiers enregistre une augmentation annuelle respective de près de 4,8 % et 6,65 %. Elle est passée de 9 pots de yaourt et 2,5 pots de raibi en 1985 à respectivement
19 pots et 7 pots en 2001. Cette amélioration significative est certainement liée à l’implantation de la grande distribution au Maroc, à l’urbanisation de la population et à l’augmentation des revenus des consommateurs. Selon le ministère de l’Agriculture (2005), la consommation des yaourts et des raibis garde un rythme ascendant puisqu’elle atteint respectivement 23,5 et 9,5 pots par personne en 2004.
En ce qui concerne le fromage, la demande exprimée en équivalent lait frais enregistre une hausse annuelle moyenne de 2,39 % entre 1985 et 2001. L’augmentation de la consommation urbaine en serait la principale cause puisqu’elle est passée de 1,92 à 2,8 ELF par personne et par an alors que la demande rurale a baissé de 0,64 à 0,28 ELF par personne et par an.
Projections de consommation
25 Sur la base d’un scénario nutritionniste qui préconise la consommation de 90 litres de lait par personne et par an, les projections de consommation en lait et produits laitiers devraient atteindre 3,6 milliards de litres pour une population de 40 millions d’habitants à l’horizon 2020. Ainsi, le taux d’accroissement annuel moyen de la demande en ces produits serait de 6,5 % entre 2006 et 2020 (ministère de l’Agriculture, 2005). Étant donné que la production nationale actuelle tourne autour de 1,4 milliard de litres, les opportunités de développement de la filière devraient mettre l’accent sur l’amélioration de la technologie de production. L’action devrait être concentrée notamment sur l’adoption de matériel génétique performant en matière de production laitière et l’amélioration des systèmes d’élevage.Législation et réglementation des produits laitiers et dérivés
26 La gestion de la qualité dans la filière laitière constitue une des préoccupations majeures du nouveau plan laitier mis en œuvre en 2000 par le ministère de l’Agriculture. Désormais, l’évolution des exigences des consommateurs (surtout dans le milieu urbain) et la nécessité de valorisation des produits selon des normes de qualité reconnues sur le plan international imposent des règles de bonnes pratiques le long des étapes de la filière. L’adoption de ces normes se trouve à l’interconnexion des effets de plusieurs variables incluant l’environnement réglementaire, le niveau de perception de la qualité par les opérateurs économiques et les progrès enregistrés en matière de traçabilité des produits.Textes et organismes de réglementation
27 Deux types de textes réglementaires régissent la production et la commercialisation des produits laitiers au Maroc. Les textes spécifiques concernent directement la filière puisqu’ils déterminent les conditions de production et de mise en marché des denrées laitières. C’est le cas notamment du décret n° 2-00-425 du 10 ramadan 1421 (7 décembre 2000) qui définit les produits laitiers et régit les pratiques d’hygiène relatives à la production, la collecte et le transport du lait cru selon la norme marocaine NM 08.4.050. Il détermine également les conditions de fabrication, de vente et de distribution du lait et des produits laitiers selon la norme NM 08.4.052 relative aux laits fermentés (ministère de l’Agriculture, 2003).28 En outre, les textes généraux ont un caractère horizontal pour les denrées alimentaires y compris les produits laitiers. Ces textes déterminent notamment la durée de validité, les conditions de transport et de conservation et réglementent les conditions d’étiquetage et de présentation des produits alimentaires.
29 En ce qui concerne l’application de ces textes, il y a lieu de signaler l’intervention d’un certain nombre d’organismes relevant essentiellement des départements ministériels de l’Agriculture, de l’Industrie et du Commerce, de l’Intérieur et de la Santé publique. Les principaux organismes directement concernés par les questions de normalisation, de certification et de contrôle de la qualité sont représentés par les services vétérinaires relevant du ministère de l’Agriculture et le Service de normalisation industrielle marocaine (SNIMA) qui fait partie du ministère de l’Industrie et du Commerce.
Systèmes de contrôle et gestion de la qualité
30 La gestion de la qualité dans la filière laitière doit distinguer deux principales étapes, celle du lait cru et celle du lait transformé. Il est toutefois difficile de généraliser le degré d’appréciation des normes de qualité pour chaque type de produit en raison de :31
- l’activité du secteur informel qui échappe pratiquement à la plupart des contrôles prévus par le système réglementaire ;
-
la concurrence entre les opérateurs de transformation pour la matière
première provenant parfois d’une même région et alimentant plusieurs
unités de production de produits laitiers ;
- la faiblesse de l’organisation des consommateurs et des structures non gouvernementales de défense de leurs intérêts.
32 De ce fait, les investigations entreprises à ce sujet restent plutôt normatives. Cela signifie que l’adoption de la qualité dans la filière demeure dans sa phase d’initiation et nécessite l’effort de l’ensemble des opérateurs pour l’application de ses nouveaux concepts.
Cas du lait cru collecté
33 Malgré les mesures de suivi des élevages prônées par le plan laitier de 1975, les informations sur la conduite des troupeaux laitiers sont plutôt rares. Les raisons invoquées sont liées au recul relatif de la fréquence du contrôle laitier dans les étables, ce qui prive les services d’encadrement de données précieuses sur la productivité et la qualité des produits (Srairi, 2004). L’exonération fiscale de l’agriculture dans son ensemble constitue également un handicap à la collecte de ces données puisque les éleveurs ne sont pas tenus de faire de déclaration sur leur activité. Il en résulte que les questions de la qualité du lait cru sont surtout traitées à travers les transactions d’approvisionnement entre les centres de collecte et les transformateurs.34 D’une manière générale, la qualité du lait cru produit au Maroc soulève certaines inquiétudes pour le consommateur averti. En effet, des maladies contagieuses d’élevage bovin, telles que la tuberculose et la brucellose, ne sont pas totalement contrôlées et s’ajoutent aux problèmes d’infections mammaires. De même, les conditions d’hébergement peu appropriées des animaux influent sur l’hygiène des étables dont les exigences de salubrité risquent alors de ne pas être satisfaites. La traite est essentiellement manuelle, et seuls 28 % des éleveurs ont recours à la mécanisation de l’opération. Chez la majorité des producteurs, le lait est ensuite conservé dans des locaux inadaptés, à température ambiante, avant d’être écoulé dans les centres de collecte. L’ensemble de ces contraintes ne permet pas de limiter les possibilités de contamination et agit sur la qualité physico-chimique et microbiologique du lait produit.
35 Au niveau des centres de collecte (un millier au total), tous équipés de matériel de réfrigération, le contrôle consiste à mesurer la densité et à apprécier l’acidité de façon sommaire dans la plupart des cas. Ce type de contrôle ne permet pas de déceler d’une manière efficace les fraudes de mouillage et/ou d’écrémage. Toutefois, pour encourager les éleveurs à livrer du lait de bonne qualité, certains centres de collecte ont instauré avec leurs clients (usines et coopératives de transformation) un système de prime de qualité. Cependant, cette prime profite essentiellement aux gros éleveurs propriétaires d’étables bien équipées et disposant de matériel de transport approprié.
36 Le lait collecté au niveau des centres est ensuite acheminé vers les usines de transformation. Selon El Aabdouni (2005), les différentes études sur la qualité hygiénique de ce lait montrent que celle-ci n’a pas connu une amélioration sensible depuis les années 1970. À l’arrivée à l’unité de transformation par camion-citerne, le produit est souvent très chargé en micro-organismes avec des taux qui dépassent les normes microbiologiques du lait destiné à la consommation humaine. Le produit subit ensuite un dégazage et une filtration pour éliminer les impuretés avant d’être stocké dans des tanks frigorifiés en attente de transformation.
Cas du lait transformé
37 Au niveau des unités de transformation, le lait réceptionné subit un certain nombre de tests de qualité (taux d’acidité, charge microbiologique, densité et taux de matière grasse). Normalement, l’appréciation de ces critères doit correspondre au moins à la norme NM 08.4.050 relative au guide de bonnes pratiques d’hygiène pour la production, la collecte et le transport du lait cru, que tous les centres de collecte sont obligés de respecter. À ce niveau, l’appréciation globale de la qualité joue un rôle important dans la destination du lait à transformer. On note toutefois qu’en raison de la médiocre qualité microbiologique du lait cru au Maroc, les procédés de fabrication du lait pasteurisé et du lait de conservation de longue durée (lait UHT, lait stérilisé, lait en poudre) nécessitent le plus souvent des traitements thermiques assez coûteux (El Aabdouni, 2005). Le problème est plus fréquent pendant la période estivale qui se caractérise par des durées de conservation plus courtes.38 Par ailleurs, les établissements laitiers qui procèdent au traitement du lait doivent répondre aux dispositions de la norme marocaine NM 08.0.000 relative aux principes généraux d’hygiène alimentaire. Ils doivent également mettre en place un système d’autocontrôle conformément à la norme NM 08.0.002 relative aux lignes directrices d’application du système HACCP (Hazard Analysis Critical Control Point) du Codex alimentarius. Pour tous les produits fabriqués à base de lait fermenté, la norme NM 08.4.052 détermine notamment les composants ainsi que les additifs alimentaires autorisés (ministère de l’Agriculture, 2003). Il faut souligner cependant que le niveau de conformité des unités de transformation aux exigences de qualité est très variable, tant au niveau de la formalisation que de l’application de ces exigences. Cela dépend surtout du degré d’engagement des responsables de management de la qualité dans le processus de certification des produits obtenus.
Traçabilité dans la chaîne alimentaire
39 Les systèmes de management de la qualité exigent la mise en place de règles de traçabilité des produits telles qu’elles sont notamment prônées par le Comité technique de traçabilité au Maroc. Dans le cas du lait, le marché national est marqué par certaines difficultés d’application de ces règles notamment en amont de la phase de transformation. En effet, l’activité des circuits informels de commercialisation du lait cru, leur désorganisation et la faiblesse de l’organisation professionnelle au niveau des petits producteurs constituent les principales entraves au respect des exigences réglementaires en matière d’identification de la matière première. Dans ce contexte, l’information nécessaire à la sécurité alimentaire des produits ne peut pas être maîtrisée d’une manière satisfaisante.40 En outre, le mode de fonctionnement des centres de collecte rend également difficile la détermination de l’origine et de la qualité du lait. Chaque centre approvisionne les unités de transformation en lots constitués de matières premières provenant de diverses étables. Dans ces conditions, la seule indication pouvant aider à repérer l’origine éventuelle de problèmes de qualité est le fait de distinguer entre le lait collecté le matin et celui l’après-midi. À noter toutefois que les mélanges entre les deux types de lait sont possibles surtout pendant les périodes de basse lactation, ce qui complique encore davantage l’opération d’identification de la matière première.
41 Au niveau des unités de transformation, les problèmes de traçabilité peuvent persister puisque les camions livrent souvent un mélange de lait cru issu de plusieurs centres de collecte (El Fellah, 2005). Ceci est dû en général à la faible capacité de stockage de ces centres par rapport aux volumes de charge des moyens de transport utilisés. Les unités de transformation doivent alors elles aussi raisonner en termes de lait réceptionné le matin, l’après-midi ou la journée.
42 En ce qui concerne les matières premières importées et les additifs incorporés, la traçabilité tient compte des conditions d’achat convenues entre les unités de transformation et leurs fournisseurs. Elle doit également être liée au mode de gestion des stocks adopté et du taux d’incorporation des intrants dans le produit final.
43 Pour le produit fini dérivé du lait, une des principales composantes de la traçabilité se base sur les indications d’étiquetage. À ce sujet, le décret n° 2-01-1 016 du 4 juin 2002 réglementant les conditions d’étiquetage et de présentation des denrées alimentaire stipule que les emballages doivent comporter, entre autres, les mentions obligatoires suivantes (ministère de l’Agriculture, 2003) :
44
- la dénomination de vente ;
- la liste des ingrédients ;
- la quantité nette ;
- la date de péremption ainsi que l’indication des conditions particulières de conservation, et la date de production ;
- le nom ou la raison sociale et l’adresse du fabricant ou du conditionneur ou de l’importateur ;
-
le lieu d’origine ou de provenance chaque fois que l’omission de cette
mention est de nature à créer une confusion dans l’esprit de
l’acheteur…
45 Tous les produits laitiers sont normalement concernés par une partie ou l’ensemble de ces indications qui ont pour but de permettre au consommateur une bonne identification des caractéristiques de chaque produit.
Structure de l’industrie laitière
46 L’infrastructure agro-industrielle du lait se compose d’une cinquantaine d’unités de transformation. L’effectif des sociétés privées atteint près de 20 unités pouvant détenir une ou plusieurs usines dans différentes régions du pays. Le reste est représenté par des coopératives de taille variable en plus d’une quinzaine de mini-laiteries implantées dans des zones enclavées grâce aux subventions accordées par l’État. Pendant la période 2000- 2004, l’ensemble des unités a transformé en moyenne près de 60 % de la production laitière nationale (cf. tableau 4). Les circuits de colportage et l’autoconsommation, y compris l’alimentation des veaux, continuent donc d’accaparer une part significative de la production. La part de transformation n’était que de 46 % pendant la décennie 1980- 1989, ce qui témoigne de l’importance du développement de l’infrastructure de transformation industrielle pendant les vingt dernières années.47 Le lait pasteurisé absorbe près des deux tiers de la quantité du lait usiné. Malgré l’augmentation des quantités produites depuis le début des années 1980, la part de ce produit ne cesse de baisser au profit des dérivés laitiers de plus en plus demandés par les consommateurs (yaourts, raibis, lait UHT, etc.).
Tableau 4 - Évolution des quantités du lait usiné (millions de litres)
Performances économiques
48 L’industrie de transformation du lait représente une des principales branches du secteur agroalimentaire au Maroc. Ses performances économiques se sont nettement améliorées durant les dix dernières années avec des investissements qui ont plus que triplé entre 1998 et 2004 passant respectivement de près de 202 à 615 millions de dirhams (cf. tableau 5).49 En même temps, la valeur de la production brute a augmenté de près de 4,5 à un peu plus de 7,7 milliards de dirhams alors que la valeur ajoutée de la branche est estimée à près de 2 milliards de dirhams en 2004. Pour cette dernière année, l’emploi direct concerne près de 8 600 personnes occupées d’une manière permanente. L’emploi saisonnier permet de recruter près de 2 600 personnes affectées selon les besoins des unités. Les exportations tournent autour de 650 millions de dirhams essentiellement sous forme de produits laitiers en poudre.
50 La structure du marché de transformation industrielle du lait est plutôt oligopolistique. La Centrale laitière Maroc lait (CLML), filiale de la holding Omnium Nord Africain et Danone, s’accapare près de 60 % des quantités commercialisées avec ses cinq unités de production (cf. tableau 6). Ce taux reflète un degré de concentration assez élevé qui se traduit par un faible niveau de concurrence dans le secteur (Duval, 2004 ; ONA 2006). Le reste du marché se partage entre d’autres sociétés privées, les coopératives laitières et les mini-laiteries.
51 Parmi les principales unités de transformation privées, en plus de la CLML, il faut signaler Sialim à Tanger qui est une filiale du groupe Bel, Sais Lait à Fès et Nestlé installé à El Jadida. Du côté des coopératives, les capacités de production les plus élevées sont détenues par Bonlait à Marrakech produisant des produits de marque Yoplait, Colainord à Tétouan, Extralait à Kénitra et la Copag (produits Jaouda) dans la région d’Agadir.
Tableau 5 - Structure et performances de l’industrie laitière
52 Le taux d’utilisation de capacité de
production varie selon les unités mais aussi selon les périodes de
hausse et de basse lactation.
Tableau 6 - Principales unités de transformation laitières
53 Les principales contraintes de la
transformation industrielle du lait sont essentiellement liées aux
problèmes d’approvisionnement en matières premières. L’irrégularité de
la production, la concurrence déloyale des circuits de colportage et
l’insuffisance des équipements liés à la chaîne de froid en amont sont
autant de facteurs qui agissent d’une manière négative sur les
performances enregistrées. D’autres craintes sont actuellement exprimées
en ce qui concerne la possibilité d’augmentation des importations dans
le cadre des accords de libre-échange avec les pays partenaires (UE,
États-Unis, pays arabes, etc.). Les produits concernés sont surtout
représentés par le lait concentré et le lait en poudre.Stratégies des entreprises agro-industrielles en matière de qualité
54 Les problèmes liés à la matière première et les nouvelles exigences des consommateurs en matière de qualité et de diversification des produits laitiers imposent aux unités de transformation une vision de plus en plus intégrée de leur stratégie de production et de mise en vente.55 En amont de la transformation, la stratégie des plus grandes unités de transformation s’oriente vers le développement de relations partenariales avec leurs fournisseurs pour régler les problèmes de qualité. Ainsi, ces unités interviennent au niveau de la formation des éleveurs grâce à leur encadrement technique et aux conseils qui leur sont prodigués. La technique de prime de qualité attribuée aux meilleurs lots de matières premières agit également comme moyen d’incitation et d’émulation des producteurs à produire du lait de bonne qualité. D’autres moyens sont également utilisés auprès des centres de collecte comme l’aide à l’acquisition et la réparation des équipements nécessaires au stockage du lait cru avant sa livraison aux unités. Ce genre de coordination interprofessionnelle reste toutefois limité à l’échelle locale sans engager des concertations pouvant aboutir à de véritables conventions entre les différents opérateurs de la filière.
56 Au niveau de l’étape de transformation, les unités qui dominent le marché, qu’elles soient privées ou organisées en coopératives, ont fait des investissements non négligeables pour le développement et le maintien de leurs marques leaders. Reflétant directement leur image commerciale sur des segments de marché divers, ces marques font l’objet d’une promotion continue auprès des consommateurs avec une vision de différenciation par rapport aux produits concurrents. L’action est essentiellement perceptible au niveau des yaourts et des fromages fondus dans le contenu des spots publicitaires des annonceurs.
57 En outre, le développement de nouveaux produits grâce à la différenciation horizontale est de plus en plus adopté, tout en tenant compte des revenus des consommateurs. Ces produits ont le plus souvent des noms commerciaux qui évoquent la qualité tout en étant intelligibles pour toutes les catégories de consommateurs. C’est le cas par exemple du yaourt Moufid ( « bénéfique ») de la Centrale laitière ou encore Crémy ( « riche en crème ») de la Copag sous leurs formes aromatisées. Ces produits sont aujourd’hui bien connus et sont vendus à un prix accessible au consommateur moyen dans les milliers de points de vente de proximité et dans les magasins relevant de la grande distribution.
58 D’autres stratégies de segmentation du marché sont mises en œuvre à travers la production de la gamme des produits laitiers allégés vendus sous des noms révélateurs. C’est le cas de certains yaourts aux fruits, très pauvres en matières grasses et en sucre, tels que le yaourt Yawmy ( « de chaque jour ») de la Centrale laitière et la gamme de yaourts à boire et des jus de fruits au lait de la marque Chergui. Ces produits sont considérés comme diététiques et visent en général des personnes soucieuses de leur santé et de leurs conditions physiques (diabète, problèmes de cholestérol, obésité, etc.). Il faut toutefois noter que mis à part les inscriptions liées à la composition chimique et nutritionnelle des produits alimentaires, les mentions « light », « léger » ou diététique ne sont pas encore réglementées au Maroc (Clair, 2006).
59 Toutes ces actions de développement des produits sont généralement accompagnées de systèmes de management de qualité adoptés surtout par les plus grandes unités de transformation. En effet, en plus des exigences liées aux normes HACCP préconisées dans le cadre réglementaire en vigueur, la plupart de ces unités sont engagées dans des systèmes de type ISO (International Standards Organization) pour la certification de leurs produits. Cette certification commerciale permet de compléter les exigences de qualité hygiénique selon des versions plus ou moins rigoureuses adoptées par les gestionnaires.
Structure des circuits commerciaux des produits laitiers
60 L’acheminement du lait et des produits laitiers de l’exploitation agricole au consommateur se fait à travers deux principaux types de circuits de commercialisation. Le premier dit de colportage est basé sur l’activité informelle de collecteurs du lait auprès des éleveurs et sa vente dans les centres urbains. Le deuxième circuit dit organisé fait intervenir les centres de collecte et les unités de production industrielles (cf. graphique 2).Graphique 2 - Circuits de commercialisation du lait et produits laitiers au Maroc
61 Les deux circuits sont décrits ci-dessous en mettant l’accent sur les aspects relatifs aux mesures prises en matière de qualité.
Circuits de colportage
62 Le circuit de colportage du lait se base sur la vente du produit par des collecteurs indépendants. Dotés de moyens de transport plus ou moins performants et adaptés à leur fonction (motos, camionnettes), les colporteurs sillonnent les zones rurales autour des centres urbains à la recherche du produit. Ils écoulent ensuite le lait collecté auprès des laiteries traditionnelles, des cafés et des ménages en ville. L’importance de leur activité dépend des saisons (haute et basse lactation) mais, en général, ils n’ont pas de périodes creuses pour au moins deux raisons. La première est due à la préférence que manifestent les petits éleveurs à la vente auprès des colporteurs qui leur garantissent le paiement du produit au moment même de l’opération de vente. La seconde raison est liée à la garantie d’écoulement du lait collecté auprès des laiteries et des ménages des quartiers populaires notamment. La quantité consommée peut être importante au niveau des laiteries traditionnelles (mahlabates) qui préparent des produits aussi variés que les jus de fruits mixés au lait, les yaourts et le petit-lait à base du lait de colportage.63 En plus du prix de ce lait généralement moins cher que celui du lait pasteurisé (4 à 5 dirhams le litre contre 6 dirhams respectivement), les ménages et les laiteries traditionnelles qui s’en approvisionnent apprécient beaucoup ses qualités organoleptiques par rapport au lait industriel (Ait El Mekki et al., 2002). Cependant, il faut rappeler que le lait écoulé par les colporteurs ne subit aucun contrôle de qualité microbiologique. Un tel problème est d’autant plus préoccupant que la part du lait informel peut parfois atteindre 30 % des quantités de lait totales consommées dans certaines villes.
Circuits organisés
64 Dans les circuits de commercialisation organisés, les centres de collecte jouent un rôle primordial dans la valorisation du lait au profit des éleveurs. Le plan laitier de 1975 et l’intervention du secteur privé ont largement contribué au développement de ces centres dans les principales zones de production, ce qui a débouché sur le renforcement de leur fonction commerciale auprès des unités de production. Ces dernières, une fois le lait ou le produit laitier prêt à la vente au consommateur, peuvent choisir des circuits de distribution traditionnels ou modernes pour l’acheminer aux points de vente visés. Elles peuvent également mettre en place des stratégies de choix des circuits à alimenter en fonction de paramètres spatiaux, saisonniers et concurrentiels.La distribution traditionnelle et la distribution moderne
65 La distribution traditionnelle des produits alimentaires se base sur le commerce de proximité. Le ministère du Commerce et de l’Industrie estime qu’en 2002 ce type de commerce accaparait près de 94 % du marché. Actuellement, cette part tourne autour de 91 % grâce à l’activité de commerçants opérant dans près de 760 000 points de vente.66 L’approvisionnement des commerces de proximité en produits laitiers des circuits organisés fait partie du système de distribution adopté par les unités de transformation. Pratiquement l’ensemble de ces unités se chargent elles-mêmes de l’acheminement des produits jusqu’aux points de vente en utilisant leurs propres moyens de transport. Si elles sont éloignées des lieux de production industrielle, elles disposent de lieux de stockage dotés d’équipements appropriés pour la conservation des produits. Les produits non vendus avant leur date de péremption sont même récupérés auprès des vendeurs par les agents commerciaux des différentes sociétés privées et coopératives. L’objectif est de permettre aux commerçants de proximité de s’approvisionner au maximum en produits des différentes marques tout en étant couverts contre les risques de mévente.
67 En ce qui concerne la distribution moderne, elle implique les canaux du commerce faisant partie de l’activité de ce qu’on appelle les grandes surfaces. La grande distribution prend de plus en plus d’ampleur au Maroc avec un peu moins de 500 points de vente dont des supérettes, une trentaine de supermarchés et une vingtaine d’hypermarchés (anonyme, 2006). Depuis l’année 2000, l’implantation de ces magasins enregistre un rythme soutenu avec une présence de plus en plus marquée dans les quartiers populaires des grandes villes. Les principales enseignes présentes sur le territoire national sont Marjane de l’ONA, Acima allié à Auchan, Label’Vie de la société Hyper S. A., Aswak Assalam et Makro allié à Métro. Les produits laitiers y sont présentés en linéaires réfrigérés offrant une grande possibilité d’assortiments accessibles en libre-service. Les plus grandes unités de production industrielle du lait et des produits laitiers alimentent pratiquement tous les grands magasins situés sur le territoire national.
Choix des circuits de distribution
68 La stratégie des unités de production industrielle du lait et des produits laitiers en matière de choix des circuits de commercialisation peut être qualifiée de non sélective. En effet, la distribution de proximité et la grande distribution semblent avoir le même intérêt commercial compte tenu des objectifs de maximisation du volume des ventes. Ce constat est soutenu par l’homogénéisation des pratiques mercantiles entourant les transactions de vente auprès des deux types de clients. Il s’agit notamment de la contribution à la définition des besoins périodiques en produits laitiers en accord avec le client concerné (épicier ou grande surface), la prise en charge de l’opération d’approvisionnement et le relèvement des produits non vendus avant la date limite de consommation.69 Néanmoins, les grands magasins permettent d’absorber d’un seul coup des volumes nettement supérieurs à ceux commandés par un ou plusieurs points de vente traditionnels. Dans ce cas, l’unité de transformation aurait tendance à préférer la transaction avec le premier client pour éviter les coûts de transactions et profiter des économies d’échelle. Cependant, le commerce de proximité continue à écouler la plus grande partie des quantités de produits laitiers mis à la vente. Comme pour tous les produits alimentaires, ce type de commerce a plusieurs avantages par rapport à la grande distribution : forte implantation dans le milieu rural, souplesse des ventes à crédit et contact entre le commerçant et le client.
Internationalisation de la distribution
70 Au Maroc, la distribution des produits laitiers dans les circuits organisés vise essentiellement le marché local. L’exportation concerne des volumes relativement faibles de produits spécifiques dominés par le lait en poudre de Nestlé installé dans la région d’El Jadida. De ce fait, l’internationalisation de la distribution ne pourrait être perçue qu’à travers la participation des enseignes internationales (cas d’Auchan et de Métro) aux capitaux et surtout à l’activité des chaînes de distribution marocaines. En effet, avec ces stratégies d’alliance, les grandes surfaces nationales profitent du savoir-faire commercial des multinationales partenaires : gestion des têtes de gondole, présentation des produits dans les linéaires, dégustations et campagnes de promotion des produits à l’intérieur des magasins.Conclusions et propositions d’actions
71 La filière laitière est une des principales composantes du système agroalimentaire au Maroc. En plus de son importance socio-économique, elle revêt un intérêt particulier sur le plan nutritionnel à travers la gamme de produits d’origine laitière destinés à l’alimentation humaine.72 Avec l’ouverture de l’économie marocaine au marché international et la nécessité de répondre aux nouvelles exigences du consommateur, la question de la qualité se pose avec acuité tout au long de la filière. Désormais, les concepts qui se réfèrent aux normes et standards, à la traçabilité des produits et même à la certification s’imposent de manière progressive auprès des opérateurs économiques, plus particulièrement les producteurs de la matière première et les transformateurs. Or la filière laitière est confrontée à un certain nombre de contraintes qui entravent les efforts de ces opérateurs pour moderniser les processus de production et de mise en marché des produits laitiers : activité du secteur informel basé sur l’intervention des colporteurs, absence d’une véritable chaîne de froid compte tenu de la déficience des équipements de conservation en amont de la transformation, absence d’une organisation interprofessionnelle efficace, etc. En même temps, des craintes sont exprimées par la profession au sujet des effets des démantèlements tarifaires sur les importations de produits étrangers dont la qualité est certifiée (surtout lait en poudre et lait concentré à usage ménager et industriel).
73 Pour atténuer l’effet de ces contraintes et permettre à la filière laitière de moderniser son ancrage dans l’économie mondiale, le concept de la qualité doit être au centre des stratégies des opérateurs (y compris du gouvernement). Pour ce faire, certaines actions méritent un engagement mieux affirmé pour leur mise en application dans le cadre réglementaire régissant les exigences de qualité, à savoir :
74
- l’application des règles de bonnes pratiques au niveau de la
production primaire grâce à un encadrement plus poussé des éleveurs par
les structures locales de développement agricole ;
-
l’amélioration des conditions d’élevage et de collecte du lait en
facilitant les conditions d’attribution des mesures incitatives
accordées notamment par le Fonds de développement agricole ;
-
le renforcement du système de paiement à la qualité de la matière
première en octroyant des primes plus incitatives aux éleveurs dans le
cadre d’une interprofession efficace ;
- le renforcement du
cadre réglementaire visant l’identification et l’organisation de
l’activité des colporteurs et son orientation plutôt vers
l’approvisionnement des centres de collecte du lait ;
- le
renforcement de la réglementation régissant l’activité des laiteries
traditionnelles en imposant des règles de traçabilité à respecter pour
lutter contre le secteur informel ;
- l’octroi de mesures
incitatives aux coopératives de petite taille et aux mini-laiteries en
général pour améliorer leur système de normalisation des produits
laitiers notamment dans les zones de production enclavées.
75 Toutes ces actions sont appelées à être entreprises dans l’avenir par les opérateurs de la filière à travers l’application du concept de gestion de la qualité. Cette gestion ne pourrait que renforcer le rôle socio-économique de la filière par des actions intégrantes et mieux rapprochées du système normatif en vigueur.